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du fil à la plume : le monde de mino

des patrons, des habits de poupées, des écrits personnels.

Comment recréer une odeur?

A partir de cette proposition d'écriture:

Comment créer à la manière d’un parfumeur l’odeur d’une personne chère. Retrouver tout ce qu’il faudrait pour recréer le parfum d’une personne aimée, décédée, éloignée ou disparue. Retrouver toutes les matières qui le composent : pierre, bois café,épices. Ne pas hésiter à pénétrer les sensations qu’il procurait : le chaud, léger, écoeurant, l'épicé, le vert ou le piquant, le rugueux, l’aigu, le grave et pour cela balayer le champ des différents sens (goût, toucher, ouïe).

Explorer les mouvements qu’il suggère : discret, audacieux, tendre, violent, corrompu, doux , riches et triomphants. Enumérer tout ce qu’il faudrait pour retrouver le parfum, évoquer la suite de tâtonnements. Utiliser la négation, le un peu de « mais pas trop » !

II est des parfums frais comme des chairs d'enfants,
Doux comme les hautbois, verts comme les prairies,
- Et d'autres, corrompus, riches et triomphants,

Ayant l'expansion des choses infinies,
Comme l'ambre, le musc, le benjoin et l'encens,
Qui chantent les transports de l'esprit
et des sens.
Charles Baudelaire, Les Fleurs du mal

Je n’avais pas été à son enterrement à cause d’une bronchite infectieuse, mes parents ayant décrété que c’était plus raisonnable. Aussi lorsque je suis retournée dans sa maison quelques semaines plus tard, j’ai erré dans les pièces vides où tout était resté dans un ordre parfait. Sur le seuil de sa chambre, j’ai hésité une seconde avant d’embrasser d’un même regard le couvre-lit au crochet, la table de toilette recouverte de marbre avec son nécessaire en argent noirci, son poudrier, son polissoir à ongles, sa brosse, et la haute armoire normande qui venait "de son côté" et lui servait de penderie.

Lorsque je l’ai ouverte, ça m’a sauté au visage, son odeur était là, flottante, entre les pans de son manteau pied de poule, dans les manches de sa robe de chambre rose, entre les robes du dimanche et les blouses pendues. Une odeur spéciale que je reconnus sur le champ.

Je plongeai mon nez dans la douceur ouatinée de sa robe de chambre et aussitôt me revinrent en mémoire les réveils des tendres embrassades qu’elle m’offrait lorsque je passais quelques jours de vacances, seule avec elle.

Il serait très difficile de recréer cette odeur, douce et rassurante, qui émanait de sa personne. Il faudrait tellement d’ingrédients pour y parvenir, ceux de toute une vie. Un fond de poudre de riz associé à de la crème Nivéa dont la boîte ronde, bleue et blanche a toujours voisiné avec sa brosse à dents sur la tablette de sa salle de bains. Un nuage de parfum de muguet un peu écoeurant mais très volatil qui dominait en tête dans l’eau de toilette vieillotte qui s’éventait dans son flacon torsadé. Et par-dessous, un soupçon de naphtaline dont l’odeur puissante avait si bien envahi le bois de chêne de l’armoire qu’en toute saison, elle persistait en effluves ténus sur tous les vêtements qui s’y trouvaient.

Ça c’était la base à laquelle s’ajoutaient tous les parfums de la vie quotidienne, de sa vie de cuisinière. Ses mains dans la farine, ses mains tournant le moulin à café coincé entre ses cuisses, ses mains épluchant l’ail, vidant les volailles. Elle portait sur elle un peu de la cuisine provençale de son enfance qu’elle pratiquait à merveille ; on pourrait dire en « bouquet garni » où dominaient le thym et l’huile d’olive et en été un peu plus d’ail et de basilic. Tout ça se mêlait de façon intime aux relents végétaux d’huile de lin dont elle usait pour faire ses carrelages et imprégnait le grand tablier de satin fermière qu’elle gardait tout le matin et jusqu’au déjeuner.

Quand nous arrivions pour manger avec elle le dimanche à midi, c’est dans ce tablier-là que j’enfouissais mon visage enserrant de mes bras son cou de chair molle. Son odeur m’accueillait et participait, j’en suis certaine, à mon émotion de la retrouver.

mars 2016

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B
l'odeur partie reste ancrée en nous, elle ressurgit parfois, nous démontre que la vie ne se termine jamais vraiment
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